L’eau est au centre des enjeux économiques, sociaux,
environnementaux et territoriaux complexes.
Bien qu’elle soit la base même d’un développement viable, équitable et
acceptable de notre société, elle est aujourd’hui sujette à des tensions et
plus que jamais fragilisée. On avance souvent que notre pays manque
naturellement d’eau, quoique tout observateur averti constatera que les ressources
disponibles sont mal utilisées. Il constatera également que la responsabilité
de tous les acteurs est véritablement engagée dans le gaspillage de l’eau. Les
pertes dans les réseaux de distribution, la gestion de l’eau à la parcelle, les
choix culturaux, les rejets non contrôlés, la non récupération de l’eau
pluviale dans les zones urbaines, la surexploitation des nappes sont autant d’exemples de cette mauvaise
utilisation. Le gaspillage de l’eau conduit inévitablement au gaspillage
d’autres ressources économiques. Il existe en l'occurrence un lien entre le
gaspillage et l’adoption d’une stratégie de stockage sous-optimale. En plus, le
gaspillage dans un usage particulier prive d’autres usages alternatifs de
quantités qui auront pu servir à accroitre le bien-être social. L’amélioration
de l’efficience de l’usage, c’est à dire la recherche du meilleur usage
possible des ressources, est cependant une condition sine qua non de préservation
et un levier pour une utilisation durable et une répartition équitable des
ressources.
Force est de constater qu’à l’heure actuelle nous faisons face à
un enjeu vital notoire. Maintenant, la question est de savoir comment l’effort
national peut-il garantir le droit fondamental d’accès à l’eau et au service de
l’assainissement pour tous les citoyens ? Comment se prémunir contre tout
risque d’exclusion et assurer une répartition juste de l’eau et des opportunités ?
Comment protéger le droit des « sans voix », les générations futures
et les écosystèmes, en s’assurant que les choix sociétaux actuels n’altèrent
pas leur bien-être et leur résilience.
Ce questionnement, suscité par la situation inquiétante de nos
ressources et la perspective de leur évolution, témoigne que les actions
passées et les mécanismes en vigueur régissant leur utilisant n’ont pas conduit
à leur développement durable. C’est se leurrer que de croire que nous pouvons
continuer sans réexaminer notre façon de penser l’utilisation de ces ressources;
si bien qu’il est nécessaire de reconsidérer notre rapport à ce patrimoine, et revoir
le système de valeurs sous-jacent, afin d’établir des règles de gestion plus appropriées.
Le système de valeurs définissant le nouveau paradigme de
gouvernance et de gestion prend sa source dans la loi fondamentale du pays. L’inclusion
du droit universel à l’eau dans la nouvelle constitution oriente désormais la
politique publique de l’eau, définit les principes de gestion et guide la
conduite des acteurs en précisant les droits et les responsabilités de chacun[1]. La jouissance de ce droit
devrait être dès lors l’objectif principal de la politique nationale de l’eau dont
la stratégie est axée sur le développement durable des ressources et
l’engagement effectif de tous les acteurs dans sa préservation. Celle ci se
traduit concrètement par un usage efficient. Il incombe par conséquent à chaque
acteur l’obligation de rendre des comptes sur sa gestion de la ressource.
La réalisation du droit universel et durable à l’eau requiert non
seulement une ressource disponible durablement, mais également une infrastructure
fiable et un service public viable. La responsabilité de chaque acteur et
l’efficience des usages et des services, se placent au cœur du nouveau dispositif
de gestion. Encore faut-il concevoir les mécanismes qui amènent le système de
l’utilisation et de la gestion des eaux à fonctionner conformément à ces
principes.
C’est justement à ce stade que la fonction de régulation prend toute
son importance. Cette fonction incombe naturellement à l’Etat qui est le
dépositaire légitime de l’intérêt général. La régulation est en effet
l’ensemble d’outils et de mécanismes mis en place par le pouvoir public pour
veiller sur le bon fonctionnement du système de gestion et de l’utilisation des
ressources et au respect des règles et principes prédéfinis.
Le constat établi plus haut s’explique entre autre soit par une défaillance
du régulateur soit par un régulateur qui, en n’agissant qu’imparfaitement avec
des outils de régulation peu adéquats, ne s’est pas donné les moyens pour
assurer le bon fonctionnement du système. Il met en évidence également les
limites du mode direct de régulation utilisés jusqu’à lors et incite à examiner
des arrangements institutionnels plus adéquats.
Réformer le mode direct de régulation par la mise en place d’un organe public indépendant
qui se charger spécifiquement de cette fonction, améliore la gestion
gouvernementale des ressources en eau. L’amélioration de l’efficacité de la
gestion résulte en effet de la séparation des fonctions étatiques de l’élaboration
de politiques, de la régulation et de la fourniture du service public, en des
institutions distinctes.
Ce nouveau régulateur, indépendant et intègre, est chargé de
veiller sur l’intérêt général qui se définit par la pérennité du droit
d’accès à l’eau. Il serait aussi responsable de la conception et de la mise en
application d’un modèle de régulation incitatif basé sur la performance, la
transparence, la participation et la redevabilité.
Le régulateur, cet élément essentiel de la nouvelle gouvernance de
l’eau, serait appelé à jouer différents rôles. D’abord, entre les usagers et
les opérateurs du service de l’eau, dans le sens où cet organe de régulation supervise
la qualité des services rendus, le respect des normes, la tarification et la
performance des opérateurs et en informe les citoyens. Cet organe joue ensuite
le rôle d’interface entre le gouvernement et les opérateurs dans le sens où il
aide ces derniers à optimiser les services rendus aux citoyens, atteste de leur
progrès et rationalise la gestion gouvernementale des services publics.
[1]
Pour une lecture
croisée de l’article 44 de constitution du Janvier 2014 relatif au droit à l’eau,
se référer à La gouvernance de l’eau dans
la nouvelle constitution tunisienne sur le blog L’avenir de l’eau en Tunisie : https://initiativeeau.blogspot.com/2014_05_04_archive.html.