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Ce blog est totalement dédié pour débattre de l'avenir de notre patrimoine commun. On espère que ce serait un lieu de rencontre entre les membres de la communauté de l'eau en Tunisie, permettant de confronter différents point de vue sur la problématique de l'eau dans notre pays.
"Conscient que par nos pensées nous sommes seul maître de notre destinée"


mardi 29 mars 2016

Plaidoyer de la société civile pour une révision de fond du projet du code des eaux



Nous avons suivi avec le plus grand intérêt l’élaboration de la nouvelle loi sur l’eau, depuis 2009 lorsque le CNEA a été chargé par le Ministère de l’Agriculture, des Ressources Hydraulique et de la Pêche de l’étude de la refonte du code des eaux. Nous avons pris connaissance des résultats de cette étude, notamment du projet CNEA proposé.

Différents ateliers d’information autour du projet CNEA ont été organisés en mars 2012, au cours desquels les commentaires des participants ont été collectés. La Commission du Domaine Public Hydraulique a approuvé, début 2014, le projet du CNEA et a ordonné de procéder à la traduction en arabe du projet original en français. Cette version arabe –version Juillet 2014- a été publiée sur le site du BIRH/DGRE.

Il y a lieu de noter cependant que le projet du Ministère de l’Agriculture soumis par la Présidence du Gouvernement à la consultation du public en fin avril 2015, est une version amendée de la version de Juillet 2014. Nous avons pris connaissance finalement des réponses du Ministère de l’Agriculture, des Ressources Hydraulique et de la Pêche aux différents commentaires sur son projet officiel, que ce soient ceux formulés par les différents départements ministériels consultés ou ceux des citoyens, formulés sur le site de la présidence du gouvernement. Ces réponses n’ont pas été publiées jusqu’alors sur le site legislation.tn comme l’indique pourtant la circulaire N°2014-31 de la présidence du gouvernement.

Nous avons organisé en décembre 2015 un atelier autour du projet du code des eaux, auquel plusieurs composantes de la société civile, ainsi que des représentants de nos institutions publiques ont été invités. Cet atelier était l’occasion pour partager les points de vue sur cette nouvelle loi et également pour discuter plus en détails trois thématiques : le statut de l’eau et la mise en œuvre du droit à l’eau et à l’assainissement, la gestion intégrée des ressources en eaux et la gouvernance abordée sous l’angle du schéma institutionnel et de la régulation. 

A l’issu de ce processus, nous  nous accordons sur ce qui suit :

Dans le préambule du projet du code, on affirme que « la loi en vigueur  ne répond plus aux besoins du développement socio-économique et environnemental du pays,…, il est devenu nécessaire de disposer d’un code adapté aux besoins actuels et futurs et en harmonie avec les conventions internationales dans le domaine ». Néanmoins, ce projet, conserve le même schéma institutionnel pour la gestion des ressources en eau, maintient les mêmes règles dans la construction et la prise de décision, donne les mêmes rôles aux acteurs et répartit de la même façon les responsabilités.Comment s’attendre alors à produire des  effets autres que ceux observés aujourd’hui ?

Le projet de code définit l’eau comme une ressource naturelle essentielle, un élément vital et un patrimoine dont la responsabilité de gestion et de conservation incombe à toute la société tunisienne. Si on croit à ces définitions, on traduit alors cette vision dans un schéma de gouvernance conçu selon les principes de la transparence, de participation et de redevabilité à tous les niveaux territoriaux. En revanche, si on n’y croit pas réellement, on conserve le schéma actuel.

Bien que ce projet reconnaisse explicitement le droit à l'eau et à l'assainissement, il ne précise pas le contenu de ce droit par des éléments substantiels et procéduraux. Le fait de supposer que les textes réglementaires apporteront les précisions requises, alors qu’aucun de ces textes n’a été annexé au projet de la nouvelle loi, ne permet pas d’évaluer entièrement la réforme qui sera engagée. L’analyse de ces textes réglementaires est d’autant plus importante que le projet de loi est complété par 45 nouveaux textes (décrets et arrêtés).

Notre pays qui prône depuis des décennies la Gestion Intégrée des Ressources en Eau, présente une nouvelle loi sur l’eau où tout le pouvoir décisionnel  appartient au ministre chargé de l’eau – en l’occurrence le ministre de l’Agriculture, des Ressources Hydrauliques et de la Pêche-  où les autres institutions n’ont qu’un rôle consultatif, où aucun mécanisme institutionnalisé de participation de toutes les parties prenantes dans la gestion de la ressource à tous les niveaux n’est  prévu et où les garanties pour l’équité et l’intégrité dans la gestion et le partage de la ressource ne sont pas clairement définies.

Il est aujourd’hui largement admis que la question de la gestion de l’eau est une question avant tout locale. En outre, l’expérience de gestion adoptée par notre pays jusqu’alors met en évidence les difficultés et les effets pervers d’une gestion par le haut, centralisée, et où les responsabilités des acteurs régionaux et locaux ne sont pas réellement engagées. Le projet du code ignore curieusement ces considérations et les dimensions régionales et locales.  De surcroit, le projet du code n’a pas profité de l’opportunité qu’offre aujourd’hui la nouvelle Constitution relativement à la décentralisation territoriale. Une occasion malheureusement non saisie pour avancer une conception qui prend en compte l’unité hydrologique, longtemps considérée impérative pour une gestion efficace des ressources en eaux.

On a tout à fait raison de vouloir protéger nos ressources hydriques, qui sont aujourd’hui incontestablement maltraitées par les usagers eux mêmes.  Le projet de loi actuel insiste sur des mesures répressives en alourdissant les sanctions et les peines. Cependant, la problématique de l’applicabilité de ces mesures se pose avec acuité. Par conséquent si les conditions nécessaires d’applicabilité ne sont pas réunies, l’effet dissuasif de ces lourdes sanctions serait faible et les résultats escomptés de ces mesures le seront tout autant.  Ainsi, et bien que la protection des ressources constitue paraît-il la motivation principale pour concevoir une nouvelle loi sur l’eau, le projet s’accommode d’une démarche peu adaptée à la réalité du terrain. Une nouvelle loi sur l’eau devrait inscrire la protection et la gestion des ressources dans une démarche proactive dans laquelle les sanctions sont une composante de dernier recours.

Si on condamne la mauvaise gestion et utilisation des ressources, le gaspillage, la surexploitation, on s’interdit soi-même l’inefficacité et la sous-performance dans la gestion du secteur. Le ministère de l’Agriculture, des Ressources Hydraulique et de la Pêche, le premier responsable aujourd’hui de la gestion du domaine public hydraulique, devrait concevoir et mettre en œuvre des mécanismes de redevabilité pour garantir la transparence et l’efficacité dans la gestion de l’eau. Le projet du code des eaux n’aborde pas cette question. Il n’aborde pas non plus la question du modèle de régulation pourtant considérée comme la pièce angulaire pour une utilisation efficiente, équitable et durable de l’eau. Au final, comment l’Etat parviendrait-il à protéger des ressources fragiles et l’intérêt général, alors que son pouvoir régalien sur le Domaine Public Hydraulique est contesté par des usagers qui ne se sentent pas égaux devant l’application de la loi et dans l’accès à la ressource ?

L’administration a consenti des efforts sur une longue période pour mettre au point le présent projet pour la nouvelle loi sur l’eau. Ces efforts seront minimes en comparaison avec ceux qui seront à déployer si on adopte une loi qui n’apporte pas de réponses claires aux défis auxquels fait face notre société et feront face les générations futures, et si on met en œuvre une reforme mal adaptée à la réalité du terrain. 

Associations signataires
Association tunisienne de changement climatique et de développement durable/ Association Eau et développement/ Association recherche en action/ Le réseau Randet/ Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux/ Association les amis du belvédère/ Leo Club/ Observatoir Tunisien de l'Economie/ Dynamique autour de l'eau/ Nomade08 Rdayef/ Club Unesco Alesco savoir et déveoppement durable/ Association d'éducation relative à l'environnement/ Réseau associatif de Hammamet.  

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